Albert Failler (1937-2024)
Le Père Albert Failler nous a quittés le 16 mai 2024 à l’âge de 87 ans.
Né le 29 avril 1937 à Plonéour-Lanvern, dans le Haut Pays Bigouden, Albert Failler eut le caractère trempé dès son jeune âge par la rude discipline des alumnats (ou petits séminaires) des Augustins de l’Assomption, successivement à Saint-Maur, Cavalerie et Miribel-les-Échelles (1949-1955). Après sa première profession au noviciat de Pont-l’Abbé d’Arnoult en 1956, il poursuivit sa formation à Lyon (année complémentaire), à Layrac (philosophie) puis, après son service militaire, à Rome (théologie), où il soutint un premier doctorat à l’Angelicum le 18 juin 1966 sur Les rapports de l’Église orthodoxe russe avec le conseil œcuménique des Églises de 1948 à 1961 – dont procédait sa maîtrise, selon lui imparfaite, de la langue russe. Une année auparavant, le 29 juin 1965, il avait été ordonné prêtre par Mgr André Fauvel en la cathédrale de Quimper, dans sa Bretagne natale.
Revenu à Paris, il fit ses Lettres classiques à l’Université de Nanterre de 1966 à 1968 – une période que l’on sait mouvementée – puis s’engagea à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans une thèse de doctorat de 3e cycle sous la direction d’Hélène Ahrweiler sur Les rapports du patriarche byzantin avec l’empereur de 1352 à 1355, qu’il soutint en 1971. Il devint officiellement membre de l’Institut français des études byzantines (IFEB), un organe assomptionniste fondé en 1895 à Kadıköy (rive asiatique d’Istanbul), déplacé pour un court mais brillant séjour à Bucarest (1937-1947), et qui avait été transféré après-guerre au 8, rue François Ier à Paris. Dès cette année 1971, Albert Failler publiait son premier article, une « Note sur la chronologie du règne de Jean Cantacuzène », dans la Revue des études byzantines (REB), fondée au sein de cet Institut. La même REB accueillit deux ans plus tard, en 1973, sous le titre « La déposition du patriarche Calliste Ier (1353) », l’essentiel de sa thèse de doctorat.
Albert Failler devint très vite un spécialiste reconnu de la période dite paléologue de l’Empire byzantin (1261-1453). Il s’attacha particulièrement au premier des historiens de cette période, Georges Pachymérès (1242-ca 1310), dont l’œuvre historique couvre les années 1258 à 1307. Ce texte demeurait, à cause de la difficulté de sa langue, une source encore trop peu pratiquée, et il sut en exploiter en profondeur la richesse dans la plupart de ses quelque 80 articles parus en quasi-totalité dans la REB. Fruit de cette exploration amorcée dès 1975, il donna au Corpus fontium historiae Byzantinae (vol. 24, t. 1-5) une édition magistrale, accompagnée d’une traduction précise et élégante, des Relations historiques de Georges Pachymérès, laquelle fut imprimée de 1984 à 1999. Creusant ce même sillon, il édita de 2001 à 2004 une version abrégée et anonyme de ces mêmes Relations dans la collection des Archives de l’Orient chrétien ; il ouvrait alors le champ quasi-vierge de la métaphrase historique dont on commence seulement à mesurer les riches implications littéraires et linguistiques. Artisan humble mais perfectionniste, et donc rarement satisfait, il eut à de nombreuses reprises le loisir de préciser et d’affiner sa pensée. Il souriait des titres espiègles donnés à ses mises au point érudites parues successivement dans la REB : « Pachymeriana quaedam » (1982), « Pachymeriana altera » (1988), « Pachymeriana nova » (1991), « Pachymeriana novissima » (1997) et bien entendu « Pachymeriana ultima », en 2012. Il va de soi qu’au long de ces années il était devenu un helléniste de très haut vol, et sans doute l’un des tout premiers dans sa discipline.
À l’IFEB, Albert Failler fut le collaborateur dévoué de ses collègues byzantinistes de l’Assomption, notamment Vitalien Laurent († 1973), Paul Gautier († 1983) et Jean Darrouzès († 1990). On sait trop peu combien il contribua à mettre en forme plusieurs de leurs travaux inachevés ou perfectibles, selon une conception collective du travail scientifique qui présidait depuis les origines aux travaux de l’Institut. Sensible à l’histoire de cette société savante insolite, il eut à cœur de raconter, d’abord dans des notices biographiques à mesure des disparitions de ses collègues et amis, le destin d’un Institut dont il défendit l’indépendance avec une application parfois farouche. Après avoir célébré un peu seul dans la REB le centenaire de sa fondation en 1995, il y revint une fois encore dans un volume cette fois collectif sur L’apport des Assomptionnistes français aux études byzantines, paru en 2017, désormais porté par un mouvement d’intérêt plus large pour l’historiographie savante. Il suffira de renvoyer à ces deux études pour y trouver le récit des péripéties d’une structure appuyée par intermittence par l’Assomption avant qu’un accord avec l’Institut catholique de Paris, passé en 1983, n’eût permis de donner une destination sans doute définitive à l’un des fonds documentaires les plus remarquables sur le monde byzantin. L’œuvre d’Albert Failler comprend enfin comme un sous-continent, à peine dénombrable, celui de ses comptes rendus parus dans la REB qui sont le reflet d’une insatiable curiosité de lecture et où s’illustre fréquemment sa virtuose acribie (en particulier quand il rendait compte des fascicules du Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit ou du Lexikon zur byzantinischen Gräzität). « Chercheur indépendant » – ainsi que le relevait son ancienne directrice de thèse dans un rapport d’activité du CNRS – il dirigea l’IFEB de 1983 à 2002, la REB de 1990 à 1995 et à nouveau de 2006 à 2012. Après plusieurs de ses confrères, il fut le dernier Assomptionniste de l’IFEB à rejoindre le CNRS où il fit carrière comme chargé de recherche.
Byzantiniste breton – il se reconnaissait dans le parcours d’une autre historienne bretonne, Mona Ozouf, dont les mémoires (Composition française, 2015) l’avaient enthousiasmé –, Albert Failler suivait pour se distraire les exploits nautiques de « nos courageux marins du Vendée Globe ». Chaque mois de septembre pourtant, tant qu’il le put, c’est un autre voyage qu’il entreprenait pour se rendre sur l’île de Syros, en Grèce, son second pays de cœur, dont il avait appris la langue moderne. Depuis deux ans, il s’était retiré dans une maison de l’Assomption du Lot-et-Garonne, fréquentée dans sa jeunesse, n’emportant rien de plus qu’une simple valise et ayant sans doute pour dernière ambition de partir un jour dans la discrétion et la simplicité.
Ses funérailles auront lieu le mercredi 22 mai 2024 à 15 heures en la chapelle du Prieuré de Layrac.
Pour l’Institut français d’études byzantines
Son Secrétaire, Olivier Delouis