Le Père Albert Failler nous a quittés le 16 mai 2024 à l’âge de 87 ans.
Né le 29 avril 1937 à Plonéour-Lanvern, dans le Haut Pays Bigouden, Albert Failler eut le caractère trempé dès son jeune âge par la rude discipline des alumnats (ou petits séminaires) des Augustins de l’Assomption, successivement à Saint-Maur, Cavalerie et Miribel-les-Échelles (1949-1955). Après sa première profession au noviciat de Pont-l’Abbé d’Arnoult en 1956, il poursuivit sa formation à Lyon (année complémentaire), à Layrac (philosophie) puis, après son service militaire, à Rome (théologie), où il soutint un premier doctorat à l’Angelicum le 18 juin 1966 sur Les rapports de l’Église orthodoxe russe avec le conseil œcuménique des Églises de 1948 à 1961 – dont procédait sa maîtrise, selon lui imparfaite, de la langue russe. Une année auparavant, le 29 juin 1965, il avait été ordonné prêtre par Mgr André Fauvel en la cathédrale de Quimper, dans sa Bretagne natale.
Revenu à Paris, il fit ses Lettres classiques à l’Université de Nanterre de 1966 à 1968 – une période que l’on sait mouvementée – puis s’engagea à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans une thèse de doctorat de 3e cycle sous la direction d’Hélène Ahrweiler sur Les rapports du patriarche byzantin avec l’empereur de 1352 à 1355, qu’il soutint en 1971. Il devint officiellement membre de l’Institut français des études byzantines (IFEB), un organe assomptionniste fondé en 1895 à Kadıköy (rive asiatique d’Istanbul), déplacé pour un court mais brillant séjour à Bucarest (1937-1947), et qui avait été transféré après-guerre au 8, rue François Ier à Paris. Dès cette année 1971, Albert Failler publiait son premier article, une « Note sur la chronologie du règne de Jean Cantacuzène », dans la Revue des études byzantines (REB), fondée au sein de cet Institut. La même REB accueillit deux ans plus tard, en 1973, sous le titre « La déposition du patriarche Calliste Ier (1353) », l’essentiel de sa thèse de doctorat.
Albert Failler devint très vite un spécialiste reconnu de la période dite paléologue de l’Empire byzantin (1261-1453). Il s’attacha particulièrement au premier des historiens de cette période, Georges Pachymérès (1242-ca 1310), dont l’œuvre historique couvre les années 1258 à 1307. Ce texte demeurait, à cause de la difficulté de sa langue, une source encore trop peu pratiquée, et il sut en exploiter en profondeur la richesse dans la plupart de ses quelque 80 articles parus en quasi-totalité dans la REB. Fruit de cette exploration amorcée dès 1975, il donna au Corpus fontium historiae Byzantinae (vol. 24, t. 1-5) une édition magistrale, accompagnée d’une traduction précise et élégante, des Relations historiques de Georges Pachymérès, laquelle fut imprimée de 1984 à 1999. Creusant ce même sillon, il édita de 2001 à 2004 une version abrégée et anonyme de ces mêmes Relations dans la collection des Archives de l’Orient chrétien ; il ouvrait alors le champ quasi-vierge de la métaphrase historique dont on commence seulement à mesurer les riches implications littéraires et linguistiques. Artisan humble mais perfectionniste, et donc rarement satisfait, il eut à de nombreuses reprises le loisir de préciser et d’affiner sa pensée. Il souriait des titres espiègles donnés à ses mises au point érudites parues successivement dans la REB : « Pachymeriana quaedam » (1982), « Pachymeriana altera » (1988), « Pachymeriana nova» (1991), « Pachymeriana novissima » (1997) et bien entendu « Pachymeriana ultima », en 2012. Il va de soi qu’au long de ces années il était devenu un helléniste de très haut vol, et sans doute l’un des tout premiers dans sa discipline.
À l’IFEB, Albert Failler fut le collaborateur dévoué de ses collègues byzantinistes de l’Assomption, notamment Vitalien Laurent († 1973), Paul Gautier († 1983) et Jean Darrouzès († 1990). On sait trop peu combien il contribua à mettre en forme plusieurs de leurs travaux inachevés ou perfectibles, selon une conception collective du travail scientifique qui présidait depuis les origines aux travaux de l’Institut. Sensible à l’histoire de cette société savante insolite, il eut à cœur de raconter, d’abord dans des notices biographiques à mesure des disparitions de ses collègues et amis, le destin d’un Institut dont il défendit l’indépendance avec une application parfois farouche. Après avoir célébré un peu seul dans la REB le centenaire de sa fondation en 1995, il y revint une fois encore dans un volume cette fois collectif sur L’apport des Assomptionnistes français aux études byzantines,paru en 2017, désormais porté par un mouvement d’intérêt plus large pour l’historiographie savante. Il suffira de renvoyer à ces deux études pour y trouver le récit des péripéties d’une structure appuyée par intermittence par l’Assomption avant qu’un accord avec l’Institut catholique de Paris, passé en 1983, n’eût permis de donner une destination sans doute définitive à l’un des fonds documentaires les plus remarquables sur le monde byzantin. L’œuvre d’Albert Failler comprend enfin comme un sous-continent, à peine dénombrable, celui de ses comptes rendus parus dans la REB qui sont le reflet d’une insatiable curiosité de lecture et où s’illustre fréquemment sa virtuose acribie (en particulier quand il rendait compte des fascicules du Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit ou du Lexikon zur byzantinischen Gräzität). « Chercheur indépendant » – ainsi que le relevait son ancienne directrice de thèse dans un rapport d’activité du CNRS – il dirigea l’IFEB de 1983 à 2002, la REB de 1990 à 1995 et à nouveau de 2006 à 2012. Après plusieurs de ses confrères, il fut le dernier Assomptionniste de l’IFEB à rejoindre le CNRS où il fit carrière comme chargé de recherche.
Byzantiniste breton – il se reconnaissait dans le parcours d’une autre historienne bretonne, Mona Ozouf, dont les mémoires (Composition française, 2015) l’avaient enthousiasmé –, Albert Failler suivait pour se distraire les exploits nautiques de « nos courageux marins du Vendée Globe ». Chaque mois de septembre pourtant, tant qu’il le put, c’est un autre voyage qu’il entreprenait pour se rendre sur l’île de Syros, en Grèce, son second pays de cœur, dont il avait appris la langue moderne. Depuis deux ans, il s’était retiré dans une maison de l’Assomption du Lot-et-Garonne, fréquentée dans sa jeunesse, n’emportant rien de plus qu’une simple valise et ayant sans doute pour dernière ambition de partir un jour dans la discrétion et la simplicité.
Ses funérailles auront lieu le mercredi 22 mai 2024 à 15 heures en la chapelle du Prieuré de Layrac.
Pour l’Institut français d’études byzantines Son Secrétaire, Olivier Delouis
Le 25e Congrès international des études byzantines se tiendra à Vienne du 24 au 30 août 2026. Vous trouverez en pièce jointe une version actualisée de la première circulaire du comité d’organisation.
Dans le cadre de la préparation du Congrès, les comités nationaux doivent soumettre au comité d’organisation autrichien une liste de tables rondes avant le 31 décembre 2023.
Nous vous invitons à nous envoyer vos propositions d’ici un mois, pour le mercredi 18 octobre prochain. Chaque proposition indiquera le titre de la table ronde, un bref résumé, les noms des organisateurs et une liste des orateurs pressentis.
Les tables rondes ont une durée de 90 minutes. Elles doivent être composées d’au moins quatre et d’au plus six orateurs. Les orateurs doivent venir d’au moins deux pays différents. On respectera la règle selon laquelle les congressistes ne peuvent participer à plus de deux événements pendant toute la durée du congrès, à savoir : en tant qu’orateur dans deux sessions, en tant qu’orateur dans l’une et organisateur d’une autre session, ou en tant qu’organisateur de deux sessions. Le CFEB encourage à ménager une place aux jeunes chercheurs. Par ailleurs, le comité autrichien recommande – sans qu’il s’agisse d’une obligation – de s’inspirer du thème du congrès : « Byzance au-delà de Byzance ».
Le nombre de tables rondes proposées par chaque comité national est limité à dix. Si le CFEB en recevait davantage, nous convoquerions une AG exceptionnelle le samedi 25 novembre 2023 pour décider de la liste finale à transmettre à Vienne.
La date de la prochaine AG du CFEB est fixée au samedi 3 février 2024. Un ordre du jour sera communiqué en janvier.
Vous trouverez sous le lien suivant le programme final du 24e Congrès international des études byzantines qui se tiendra à Venise et Padoue du 22 au 27 août 2022.
Ce n’est pas sans émotion que nous apprenons le décès, dans la nuit de mercredi 13 à jeudi 14 janvier, de Jean-Marie Martin, directeur de recherche émérite au CNRS et éminent spécialiste de l’Italie méridionale médiévale.
Si Jean-Marie Martin a affirmé, lors de son discours de réception des Mélanges préparés en son honneur, qu’il n’avait pas de considération particulière pour une carrière « administrative » qu’il estimait (sans doute à tort) sans trop de relief, il soulignait toujours le plaisir qu’il eut à enseigner, d’abord au lycée de Troyes, puis à l’université de Tunis, à celles de Tours et Orléans, et à la Sorbonne, avant d’entrer au CNRS. Considérable est son œuvre historique, dont l’ampleur, la précision, la rigueur et l’érudition en font un des plus importants spécialistes de l’Italie méridionale médiévale. Cette œuvre associe des travaux d’analyse qui restent des monuments (tels le livre tiré de sa thèse d’État, La Pouille du VIe au XIIe siècle paru à Rome, à l’École française de Rome, en 1993 auquel s’ajoutent plus de 350 articles et papiers), des ouvrages de diffusion d’une rare intelligence (Italies normandes, paru en 1994 dans la collection « La vie quotidienne », mais cité jusque dans des travaux de thèse et traduit en italien) et surtout des publications de sources d’archives de et sur l’Italie du Sud, dont Jean-Marie Martin était le spécialiste incontesté. Depuis la publication des Chartes de Troia, en 1976, c’est plus d’une douzaine d’éditions de sources qui sont parues grâce à lui avec, comme aboutissement et couronnement, ce qui resta en la matière son maître-ouvrage, le Registre de Pierre Diacre, paru en 2015 en 5 volumes, et pour lequel il a coordonné une équipe de savants et travaillé pendant plus de 17 ans.
Jean-Marie Martin professait deux références historiographiques françaises majeures : Marc Bloch et Pierre Toubert, dont il suivait les séminaires avec assiduité. Il était un historien de la longue durée mais du détail, de l’histoire d’une (grande) région sans régionalisme, un historien de l’économie et de la société mais sans exclure les dimensions politiques et culturelles, un historien des organisations et des structures humaines, attentif aux paysages et aux communautés. Sa vie se partageait entre deux pôles, Paris et Rome, qu’il reliait régulièrement, accompagné de son épouse Bernadette Martin-Hisard, au volant de sa voiture, dans d’interminables trajets généralement ponctués d’arrêts dans le Sud de la France. Ces deux pôles étaient aussi les sièges de deux institutions principales dans sa carrière : le Centre d’histoire et de Civilisation de Byzance, (puis équipe « Mondes byzantins » de l’UMR 8167 « Orient et Méditerranée »), et l’École française de Rome. S’il a beaucoup œuvré avec des collègues, souvent devenus amis, de son laboratoire parisien et au sein de la communauté des byzantinistes, Jean-Marie Martin restera inséparable de la Bibliothèque du Palais Farnèse où sa présence était si coutumière que c’étaient surtout ses rares absences qu’on remarquait. Dans ces deux institutions, il contribua à des projets collectifs ou des travaux à plusieurs mains (notamment avec Jacques Lefort), et coordonna de nombreux programmes de recherche pour l’École, car il n’était jamais à court d’idées, jusqu’au dernier programme, sur les cartulaires italiens, pour lequel il réunit une équipe franco-italienne nourrie de jeunes historien(ne)s. Jean-Marie Martin a profondément marqué l’histoire de l’École et a contribué à conforter l’insertion de cette dernière dans l’historiographie du « Mezzogiorno » médiéval. C’est donc notamment au Palais Farnèse que se déployaient ses rares qualités de disponibilité, de générosité, d’attention aux jeunes chercheurs et aux jeunes collègues, qu’il faisait bénéficier des ressources inépuisables de son infaillible érudition ; des qualités grâces auxquelles il créa et entretint un remarquable réseau d’amis et de collègues en France comme en Italie, où il était réellement reconnu comme un Puer Apuliae.
Jean-Marie Martin était tout cela mais ne l’était pas seul. En réalité, c’est un couple qu’il faut ici mentionner, celui qu’il formait avec Bernadette, laquelle l’accompagna dans le travail comme dans sa vie, lumineuse d’une fertilité intellectuelle et amicale peu commune.
L’histoire médiévale vient de connaître un accomplissement remarquable : l’édition avec commentaire du recueil connu sous le titre conventionnel de De cerimoniis, ou Livre des Cérémonies, pierre angulaire pour notre connaissance de la société byzantine, de son gouvernement, de son administration, de sa vie festive, séculière et religieuse, que domine la figure de l’empereur byzantin qui, de son palais à la cathédrale Sainte-Sophie ou aux Saints-Apôtres, déambule dans Constantinople, ville merveille qui éblouissait les contemporains d’Orient et d’Occident.
Cette entreprise d’inventaire et de restauration des rituels byzantins fut lancée au milieu du 10e s. par un souverain lettré, Constantin VII, figure de proue de la renaissance intellectuelle byzantine dite macédonienne, dont le règne s’étend de 913 à 959. Le recueil regroupait les protocoles du cérémonial de la cour impériale : le Livre I présente les cérémonies religieuses de l’année liturgique, mais aussi les cérémonies civiles comme les promotions de fonctionnaires ou les courses de chars ; le Livre II, légèrement postérieur, complète le Livre I, mais s’élargit à la diplomatie, avec en particulier les grandes réceptions d’ambassadeurs arabes, ou de la princesse russe Olga. Son intérêt ne se limite pas au 10e siècle, les cérémoniaux anciens qui sont recopiés formant une série qui commence aux 5e et 6e siècles. Furent ajoutés des chapitres fascinants, qui s’écartent du thème du recueil et nous livrent les comptes financiers d’expéditions militaires récentes en Syrie, en Italie et en Crète, qu’édite Constantin Zuckerman (École pratique des Hautes Études).
Comme presque toutes les traces directes de l’administration byzantine du Moyen Âge central ont disparu, le De cerimoniis, préservé dans deux manuscrits, dont un palimpseste peu exploitable, est le seul texte à nous placer au cœur du pouvoir et de sa représentation, et dans la durée ; une bonne partie des protocoles remonte en fait à Michel III (842-847), le dernier empereur de la dynastie d’Amorium au milieu du 9e s., ou même aux Isauriens iconoclastes du VIIIe s., et le texte intègre plusieurs couches d’annotations. Il reproduit de longs extraits du recueil de Pierre le Patrice, maître des offices sous Justinien au 6e s., dont traite Denis Feissel (CNRS et École pratique des Hautes Études), et manifeste ainsi le fort lien de continuité entre la civilisation byzantine et celle de l’antiquité romaine tardive.
Le texte, d’abord édité par Johan Jacob Reiske (1716-1774), dont le travail est repris dans le Corpus de Bonn (1829), puis, incomplètement, par Albert Vogt (1935-1939), réclamait depuis longtemps une réédition complète, mais la complexité philologique et historique du dossier épouvantait à juste titre. Il fallut plus de 30 ans pour que ce grand chantier scientifique de la byzantinologie française, lancé par Gilbert Dagron (1932-2015) au Collège de France, aboutisse sous la direction de Bernard Flusin (Sorbonne Université et École pratique des Hautes Études) à cet édifice imposant de près de 3 000 pages, en 5 tomes et 6 volumes.
Comprenant l’original grec, rendu accessible au plus grand nombre par une traduction intégrale en français, d’abondants commentaires, un glossaire et des index, ce nouvel outil marque une date pour les études byzantines et suscitera, tant sa richesse est séminale, des études neuves non seulement dans le champ byzantin, mais aussi de la part de médiévistes d’Occident qui s’intéressent au pouvoir impérial et plus largement de ceux qu’interroge l’héritage européen de Byzance.
Le CFEB est heureux de vous annoncer que la base « Artefacts and Raw Materials in Byzantine Archival Documents / Objets et matériaux dans les documents d’archives byzantins » a changé d’adresse et est désormais hébergée par le CFEB sous le lien suivant : http://typika.cfeb.org Elle est aussi accessible par le portail du CFEB, ci-dessus, onglet « Ressources ».
Alain Ducellier est né à Paris le 5 mai 1934. Il a obtenu en 1957 un diplôme d’études supérieures en histoire byzantine sous la direction de Rodolphe Guilland, avant de soutenir sa thèse d’État en 1970 sous la direction de Paul Lemerle, intitulée Durazzo, Valona et la côte moyenne de l’Albanie du XIe au XVe siècle (publiée en 1981 à Thessalonique sous le titre La Façade maritime de l’Albanie au Moyen Age : Durazzo et Valona du XIe au XVe siècle). Coopérant en Tunisie, il a enseigné à la faculté des lettres de Tunis de 1962 à 1967, puis il a été élu maître-assistant à l’université de Toulouse en 1967, maître de conférences en 1971 et professeur d’histoire en 1973. Il a alors encadré à l’Université Toulouse II-Le Mirail plus d’une trentaine de thèses en histoire byzantine, histoire des Balkans et du monde musulman. Parmi ses nombreuses publications, on retiendra notamment Le Drame de Byzance. Idéal et échec d’une société chrétienne, Paris 1976, et Byzance et le monde orthodoxe, Paris 1986. Il s’est éteint à Toulouse le 29 septembre 2018.
Cette notice est une version abrégée de l’introduction que Michel Balard a rédigée pour un volume en l’honneur de D. Jacoby, et que, très aimablement, il a bien voulu nous transmettre et nous autoriser à utiliser pour honorer la mémoire de D. Jacoby.
David Jacoby (1928-2018), un passeur entre Orient et Occident
Né à Anvers le 24 février 1928 de parents d’origine polonaise et russe, David Jacoby passe en octobre 1942 en Suisse avec sa famille pour fuir les persécutions des nazis. Après la guerre il tente de parvenir clandestinement en Palestine sous mandat britannique, mais est saisi par les Anglais et conduit en Chypre. Il arrive en Palestine en décembre 1947. Après un engagement dans la Hagana, l’armée secrète juive, il sert dans les Forces de Défense d’Israel et est blessé pendant la guerre de 1948. A l’automne 1949 il commence ses études d’Histoire à l’Université hébraïque de Jérusalem. Marqué par l’enseignement de Joshua Prawer, il décide de se spécialiser en histoire du Moyen Age et plus particulièrement en histoire byzantine, spécialité que Prawer souhaitait introduire dans les programmes de l’Université hébraïque. Un choix décisif que vient conforter un séjour de deux ans à Paris où Jacoby prépare, sous la direction du grand byzantiniste Paul Lemerle, son doctorat portant sur « La démographie de la paysannerie dans l’empire byzantin tardif » (1958). Puis David Jacoby commença sa carrière académique à l’Université hébraïque aux côtés de Joshua Prawer et, à partir d’une spécialisation décisivement byzantine, élargit progressivement sa palette pour embrasser tous les aspects des échanges entre l’Orient et l’Occident, tous les acteurs d’une rapide expansion occidentale en Orient à partir du XIe siècle, et tous les lieux de commerce fondés ou développés par les marchands occidentaux, italiens, bien sûr, mais aussi catalans et languedociens. Il en est résulté plus de deux cents articles, regroupés pour la plupart dans neuf volumes de la série « Variorum Reprints » et qui couvrent une grande part de l’histoire de la Méditerranée au Moyen Age. Byzance, l’islam, les Juifs, les marchands occidentaux, les pèlerins, les Latins installés en Terre sainte, les réseaux commerciaux, les échanges culturels, rien n’échappe à l’attention érudite de notre collègue. Passeur entre l’Orient et l’Occident, David Jacoby, pour paraphraser un mot célèbre, fut vraiment « ce cavalier qui partit d’un bon pas » explorer un monde méditerranéen dont il sut, avec talent, depuis près de soixante ans, diffuser la connaissance auprès de la communauté scientifique la plus large.
Monseigneur Paul Canart est décédé le 14 septembre dernier, à Bruxelles, à l’âge de 89 ans. Né à Cuesmes en Belgique le 25 octobre 1927, Paul Canart fut ordonné prêtre le 1er avril 1951 pour l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. Il entama alors une carrière d’enseignant au collège Saint-Pierre à Bruxelles après avoir soutenu une thèse consacrée à Platon. Remarqué pour la qualité de ses travaux, il se vit confier en 1957 la confection du catalogue des manuscrits grecs de la Bibliothèque vaticane. Paul Canart dirigea ensuite le département des manuscrits de la Bibliothèque vaticane de 1984 à 1999. Il fut nommé vice-préfet de la Bibliothèque et fut élevé à la dignité de Protonotaire apostolique le 31 mars 1999. Auteur de nombreux livres et articles en paléographie grecque médiévale et en histoire des manuscrits byzantins, grand helléniste et chercheur infatigable, Mgr Canart fut membre de l’Accademia dei Lincei, du Comité international de paléographie grecque, du comité de direction de la revue Scriptorium. Il avait été tout récemment décoré comme Officier de l’Ordre de Léopold à Rome. La disparition de Mgr Canart constitue une perte immense autant qu’elle désole ceux qui l’ont connu et fréquenté, et qui ont bénéficié de ses généreux conseils, de son érudition et de sa disponibilité.
Voir Cesare Pasini, Il bizantinista detective. Paul Canart alla Biblioteca vaticana, L’Osservatore romano, 16/9/2017.
Né à Athènes en 1947, Paris Gounaridis étudia à Paris où il soutint en 1983 une thèse de doctorat à l’Université de la Sorbonne sous la direction d’Hélène Ahrweiler sur le thème : Pratique politique et discours politique dans l’État de Nicée (1204-1261). Il fut, à l’École pratique des hautes études, l’étudiant de Nicolas Svoronos dont il publia de façon posthume à Athènes le livre des Novelles des Empereurs macédoniens (1994) ; sa longue préface témoigne du dévouement et de l’admiration qu’il portait à son maître. Devenu chercheur à l’Institut des études byzantines du CNRS grec (EIE), il enseigna l’histoire à l’Université de Crète puis à l’Université de Chypre. Depuis l’an 2000, il avait rejoint comme Professeur le département d’histoire, d’archéologie et d’anthropologie sociale de l’Université de Thessalie (Volos). Ses travaux portèrent sur l’idéologie politique, le monde rural (Η θέση του χωρικού στη βυζαντινή κοινωνία, Athènes 1998) ou encore l’Église et ses hérésies : il laisse notamment l’une des rares études sur le mouvement des Arséniates (Τὸ κίνημα τῶν Ἀρσενιατῶν, 1261-1310, Athènes 1999). Très actif au Mont Athos, il donna dans la collection Byzantina Symmeikta les catalogues des archives du monastère de Karakallou (vol. 1, avec K. Chrysochoïdès, 1985) et, pour la période postbyzantine, de Xèropotamou (vol. 3, 1993). Enfin, parfait francophone, il était heureux de répondre aux sollicitations de ses jeunes collègues de l’École française d’Athènes (dans Nommer et classer dans les Balkans, éd. G. de Rapper et P. Sintès, Athènes 2009). Il s’est éteint le 11 juillet 2017. Sa disparition semble à tous si précoce.
Nous avons appris le décès d’Hélène Antoniadis-Bibicou, ancienne membre du CFEB, le 13 juin 2017 à l’âge de 94 ans. Née en 1923 à Athènes, elle rejoint en 1940 les rangs de la Ligue des jeunes communistes de Grèce (OKNE) puis, sous l’occupation, la résistance au sein du Front de libération nationale (EAM) ; à ce titre, elle fut l’un des membres fondateurs de la section du Pirée de l’Organisation de la jeunesse unie panhellénique (ΕΠΟΝ). Écrivant dans un journal clandestin, La jeunesse d’Athènes, elle s’inscrit dans le même temps à l’Université d’Athènes (département d’histoire et archéologie) où, marquée par la rencontre de D. Zakynthinos, elle est diplômée en 1945. À la libération, elle prend part à la fondation de l’Union Franco-Hellénique des Jeunes et obtient avec l’appui d’Octave Merlier, directeur réinstallé de l’Institut français d’Athènes, une bourse du gouvernement français qui lui permet de fuir la guerre civile et de s’installer à Paris en 1947. Étudiante dans un premier temps à l’EPHE (IVe section), elle intègre le CNRS en 1951, et à partir de 1955 elle fréquente assidûment les séminaires de Paul Lemerle à l’EPHE aux côtés de quelques compatriotes, tels Nicolas Svoronos ou Hélène Glykatzis [Ahrweiler]. Elle y présente régulièrement le fruit de recherches qui ne donneront pas forcément lieu à des publications. Elle rejoint ensuite la fameuse VIe section de Fernand Braudel à l’EPHE (devenue EHESS en 1975), lequel exerça sur elle une influence décisive. Elle y anime à partir de 1965 un séminaire d’« Histoire économique et sociale de Byzance et de la Grèce moderne » dont l’activité se maintiendra sur près de 30 ans. Elle publie en 1963 son maître-livre, Recherches sur les Douanes à Byzance, dans la collection des Cahiers des Annales qu’il dirige. Durant la période de la dictature des colonels en Grèce, fidèle à ses engagements politiques, elle est choisie comme secrétaire générale du Mouvement gréco-français pour une Grèce libre que préside Roland Dumas. Son mari Antoine Antoniadis est alors le correspondant parisien du journal grec Le Radical (Rizospastis) émanation du Parti communiste hellénique (KKE), et à la mort de celui-ci, en 1983, Hélène Antoniadis-Bibicou en devient à son tour la correspondante jusqu’en 1991. On relèvera encore, aux côtés de ses multiples activités éditoriales et associatives (Cahiers Pierre Belon, Association internationale du Sud-Est européen avec André Guillou, etc.), dans la liste de ses publications byzantines peu nombreuses mais portant à la fois sur l’économie (prix, salaires), la fiscalité, la démographie, l’habitat, l’enfance, ou la marine byzantine, un volume collectif insolite sur le Féodalisme à Byzance paru en 1974 dans la collection des « Recherches internationales à la lumière du marxisme », où plusieurs contributions d’historiens de pays communistes recevaient leur première traduction française. Des Mélanges lui ont été dédiés en 2007 sous le titre Byzantina et Moderna (éd. G. Grivaud et S. Petmezas) où contribuèrent de nombreux élèves ayant soutenu sous sa direction des thèses d’histoire contemporaine. Elle a été inhumée au cimetière de Zographou à Athènes le samedi 17 juin 2017.
Olivier Delouis
PS: En 2021 a paru un recueil d’articles en son honneur dans Études balkaniques.
Né en 1939, Jacques Lefort est décédé à Paris le 23 août 2014 à l’âge de 75 ans. Ancien directeur d’études à l’École pratique des hautes études (IVe section), formé dès 1959 à l’histoire de Byzance par un maître, Paul Lemerle, ses travaux sur l’économie, la démographie et la société rurale, la géographie historique, le paysage médiéval et les archives du Mont Athos, ont à leur tour marqué une génération d’historiens. En 2006, il avait évoqué son parcours à la faveur de la parution d’un recueil de ses articles (Société rurale et histoire du paysage à Byzance) : il convient de relire ces pages que nous joignons ici avec l’autorisation de leur éditeur. Depuis lors, malgré une longue maladie, il avait participé au volume III de la Nouvelle Clio sur Byzance (2011), publié la traduction annotée d’un traité d’agriculture byzantin, les Géoponiques (2012), et surtout préparé le dernier tome de l’édition diplomatique des archives du monastère de Vatopédi, désormais sous presse. Signataire du volume d’Esphigménou (1973), des quatre volumes d’Iviron (1985-1995) et des trois volumes de Vatopédi (2001-), il sut donner à la collection des Archives de l’Athos, dont il assumait la direction depuis 1989 à la suite de Paul Lemerle, la cohérence et la rigueur que lui reconnaît la communauté internationale des byzantinistes. Ses obsèques ont été célébrées le 28 août 2014 dans sa région natale du Jura (Lalleyriat). Un hommage lui a été rendu au Collège de France le 24 janvier 2015.
Une plaquette a été éditée à cette occasion, disponible ici.